Morning...
« Mademoiselle Delilah. Combien de fois vous ai-je dis de rajuster votre jupe avant de sortir ? » Je me retournais, les yeux se fixant sur ma Nounou. Puis, apercevant son regard empli de reproches, je baissai les yeux vers le sol et remettais correctement les pans de ma chemise blanche sous l'élastique de ma jupe bleue foncée.
« Dépêchez-vous. C'est bientôt l'heure de la sonnerie. » Elle s'avança, posa ses mains pesantes sur mes épaules et me poussa vers la porte d'entrée de l'appartement. J'avais préparé mes affaires la veille au soir. J'y avais songé sans l'aide préalable de ma Nounou. Après tout, ce n'était pas si difficile. Les soirs s'enchainaient et se ressemblaient.
Je mangeais seule à sept heures trente. Et j'attendais sagement dans la salle à manger que ma mère rentre du travail. Cette pause était le seul moment où j'avais droit de regarder la télévision. Pas de dessins animés. On me mettait les informations ou bien des débats politiques. Ma mère disait que c'était pour ma bonne éducation, que je devais me confronter à la difficulté des mots et des idéaux dès mon plus jeune âge. Moi, dans ces instants, la seule chose que j'espérais était de m'enfermer dans ma chambre et de lire pour la vingtième fois
Emma de Jane Austen. Après, maman rentrait et je l'accompagnait à table (sans manger il en convient). C'était elle qui fondait la discussion. Elle me posait toutes sortes de questions. La plupart faisait référence à l'école, aux testes que j'avais passé, aux notes que j'avais reçu et aux devoirs que j'avais préparé depuis deux heures. Parfois, elle me faisait réciter un poème que j'avais à apprendre ou bien un cours d'histoire. Elle me questionnait aussi sur la culture générale. Ce que je pensais des thèmes philosophiques et littéraires par exemple. Rien d'affectif pendant une bonne heure. Je n'avais droit à un baiser sur le front qu'à l'heure du coucher. Avant, je prenais bien soin de ranger mon bureau et de préparer mon cartable sous son regard inquisiteur. Je vérifiais au moins trois fois si je n'avais rien oublié. Livres scolaires, trousse, cahiers, brouillons, carte de cantine, etc...
Dès que j'eus franchi la porte, je trottinai dans le couloir et appuyai joyeusement sur le bouton de l’ascenseur. J'adorais cliquer sur ce cercle lumineux.
« Mademoiselle Delilah... » Le ton prévenant de Nounou fit stopper net mes gestes. Je rétractai le bras et le laissait pendre le long du corps. Les portent s'ouvrirent et nous nous enfonçâmes dans l'antre de l'engin. C'était une si belle invention que l'élévateur. A chaque fois, je souriais lorsque je sentais une sensation le long d mon échine pendant la descente. Une main vint coincée au dernier moment les rabats qui s'ouvrirent. J'entendis Nounou grogner et regarder sa montre avec nervosité. Mais le couple qui vint se loger avec nous apporta toute mon intention. C'était nos voisins de paliers. Des retraités. Ils étaient assez gentils et de très bonne compagnie. Parfois, ils m'invitaient chez eux afin que je visite leur appartement. C'est qu'il était spécial. En effet, des animaux empaillés résidaient dans presque toutes les pièces et des peintures et sculptures surplombaient les murs et les coins. Il y en avait de toutes les époques. On pouvait passer de l'antiquité jusqu'au neuvième siècle en un coup d'oeil. C'était assez spectaculaire. Bien sûr, nous possédions à la maison des pièces antiques, mais pas de cette envergure. Leur chez eux était un vrai musée que je ne cessais de visiter. C'est avec un sentiment de bien-être et de bonté que je leur souris directement et les saluai.
« Bonjour Madame et Monsieur Beaumont. » Ils me sourirent aussi en retour.
« Bien le bonjour Delilah. » J'étais toute contente à l'idée de les croiser si tôt en matin. Ils allaient sûrement voir une exposition ou bien un film dans le cinéma le plus proche.
Lorsque nous arrivâmes à l'école élémentaire, ma Nounou plissa les plis de ma jupes pour la dixième fois de la matinée et aplatit le col de ma chemise. Je devais être parfaite, je pense. Je devais faire preuve de maturité, d'esprit et de sérieux. Je devais être la petite fille modèle du seizième arrondissement. Je dus presque m'arracher des mains de Nounou pour entrer dans Janson de Sailly (c'est ainsi que se nomme mon école) et ne pas être en retard. Une longue journée s'alignait devant moi. Pourtant, je n'étais pas pressée qu'elle se termine au plus vite. J'avais envie de respirer, de vivre, de parler avec mes amies et de rire aussi.
« Maman. Nous avons reçu les papiers de l’Éducation Nationale. » J'étais descendue prendre le courrier dans le hall de l'immeuble. Dès que j'avais remarqué l'immense enveloppe marron, je n'avais même pas pris la peine de remonter par l'ascenseur. Ce dossier était de la plus haute importance et il était urgent d'y répondre dans les temps. Enfin, je me serais bien gardée d'y jeter un coup d'oeil ou même de le recevoir par la poste. Après tout, mon avenir semblait recueillit dedans et j'étais assez sceptique au projet scolaire que mes parents avaient mis en place. Un instant, j'avais hésité de rejoindre la porte d'entrée en possession de ces papiers. J'avais même jeté un regard tout en bas. J'aurais pu le jeter dans la poubelle en un mouvement de main. L'idée était très tentante. Finalement, un bruit de serrure avait détourné mon attention et comme je ne voulais pas qu'on me voit dans une situation délicate, je me suis détournée du vide et j'ai monté les escaliers de marbre.
A peine avais-je ouvert la bouche que ma mère est accourue vers moi.
« Ah enfin! J'étais sur le point de poster un deuxième dossier. Le Secrétaire Général m'avait pourtant affirmé qu'il s'en occupait personnellement. On ne peut plus faire confiance à personne de nos jours. » Je souris. Le Secrétaire Général était l'homme le plus malheureux du monde. Même s'il se fichait des lubies de ma mère, il allait devoir soutenir ses regards acérés. Je peux vous confirmer qu'il n'y a aucun plaisir à se situer dans le viseur de Madame Augustin. J'en tremblais presque. J'avais subi deux ou trois fois ce regard teinté de gravité et de dégoût. J'avais arrêté mes bêtises sur le champs. Maintenant, j'évitais de mettre en colère ma mère. Je ne voulais pas devenir victime de ses foudres. J'avais appris à lui obéir aux doigts et à l'oeil. J'étais consciente d'être sa marionnette, mais je me disais qu'elle voulait mon bien et ma future fortune. Alors, je l'ai laissé m'entourer de sa toile. Je me demande à présent si elle serait capable de m'étouffer avec. Seul le futur me l'affirmera. J'espère que non.
« ... Delilah! Réveille-toi voyons. Nous parlons de ton avenir. Je voudrais que tu sois un peu plus motivée et responsable. » Je clignai des yeux et hochai rapidement la tête en signe de soumission. Puis je mordis mes lèvres comme pour me stimuler, voire me punir. Je suivais ma mère dans le salon. La lumière du soleil éclairait l'appartement. Je fermai instantanément les yeux tellement les rayons m'aveuglaient. J'ai toujours eu des iris sensibles. Puis j'essayai de les rouvrir et de rejoindre ma mère à table. Je m'assis. Le dossier venait d'être entièrement étalé sur le bois de cajou. Et puis, il y avait des revues ça et là. Tous présentaient des métiers. Les lycées devaient se les procurer pour choisir leurs études supérieures. Moi, j'étais en fin de troisième. Il faisait beau dehors. L'été battait son plein.
« Bon, il faut que l'on remplisse les papiers ma chérie. Après cela, on va se pencher sur ton projet, d'accord ? » Je n'avais pas tellement le choix. Mais je fis "oui" de la tête. Tout se passa dans les règles. Je remplie tous les items sans fautes et sans que ma mère n'intervienne. Je la vis du coin des yeux satisfaite et fière. Bizarrement, je l'étais aussi. Sa bonne humeur ne m'était pas insensible. Et pourtant... je venais de signer pour un changement d'établissement scolaire. Mes parents voulaient un grand avenir pour leur fille. Ils voulaient que j'ai toute les chances de réussir. Il avait donc été conclu que j'entrerai en seconde au lycée Louis-Le-Grand. Janson De Sailly n'était pas assez élevé dans les top des lycées parisiens. J'allais quitter mes amis, ma meilleure amie et mes connaissance pour en trouver d'autres. Un changement qui me brisait le coeur.
« Alors... concernant ton projet, tu as fais la liste ? » Je hochais de la tête à mon habitude et m'élançais dans ma chambre afin de récupérer la fameuse liste. J'avais rédigé cette dernière avec Gabrielle, ma meilleure amie. On était allée à la Bibliothèque du seizième arrondissement. Je la présentais à ma mère, le dos droit et un sourire timide entre les lèvres. Je m'assis pendant qu'elle parcourait des yeux le papier. Enfin, elle prit un stylo.
« Delilah chérie. J'adore ton deuxième choix. Ton troisième aussi. C'est très intéressant comme projets. Par contre, le premier, je dois m'avouer assez sceptique. Tu sais... le monde de la mode est une véritable tuerie. Je parle évidemment de la concurrence. Autant je t'aurais vu mannequin. Mais... styliste c'est dur ma chérie. Enfin, ce doit être un rêve passager comme celui d'écrivain. Revenons-en aux autres. L’Architecture. C'est passionnant. J'ai des relations dans un cabinet. Tu pourrais y faire un stage ? Et puis, ton père doit connaitre le PDG de ... » J'avalais difficilement. Le stylisme me tenait vraiment à coeur, tout comme mon désir d'écrire des histoires et de peindre des paysages entiers. Cependant, je hochais rêveusement la tête en signe d'affirmation.
Les adieux n'avaient pas duré bien longtemps. J'avais pris dans mes bras mon père et ma mère. J'avais embrassé une dernière fois mon petit-ami, Amadeus. Nous nous étions préparé à cette rupture. Dès que j'avais entré mes notes et mes choix d'école dans admissionpostbac.fr, je lui avais expliqué la situation. Évidemment, il n'a pas été satisfait par la nouvelle. Il faut dire que nous sortions ensemble depuis trois ans. Une aventure que je n'oublierai pas. Pourtant, je me refusais de me fermer sur moi-même et de ne plus vivre parce que la distance nous séparera et que notre amour se dissociera. J'ai toujours voulu regarder vers l'avenir, jamais le passé. Certes, venir à São Paulo n'avait jamais été MON projet, mais je ne pouvais pas m'estimer malheureuse. Mes parents avaient entièrement réglé mon départ et le côté administratif de la chose. Je ne devais pas leur en vouloir. Ils avaient pris le temps de s'informer de cette école privée d'Architecture et de m'inscrire. Ils payaient cher les trimestres. Je n'étais pas à plaindre.
Je respirai l'air chaud de la ville du Brésil. J'étais en débardeur et jupe. Il faisait beau et la plage que j'apercevais de loin semblait me tendre la main en signe de bienvenue. Promis, j'y allais dès que je serais installée. L'excitation me palpa le coeur. Finalement, cette ville bien différente de Paris était tout aussi extraordinaire! Mes valises à la main, j'étais attendue. Une berline noire vint me cueillir devant l'aéroport. Tout était planifié. Je m'y engouffrai le sourire aux lèvres, un sourire heureux, véritable.
« treize avenue de... Oh je suis désolée. Heu... » Gros trou. Je ne savais pas parler portugais! Bon, le chauffeur brésilien devra s'habituer à comprendre l'anglais de la bouche d'une Parisienne. Je le plaignais d'avance.