Je venais de rentrer à la maison, mon sac sur l'épaule et la fatigue bien dessinée sur les traits fins de mon visage. J'étais au bout du rouleau ! Cette journée de service m'avait achevé. Pourtant, j'en avais l'habitude... Je ne m'étais probablement pas attendu à ce qu'on m'en demande autant. Embauchée à la dernière minute par manque d'effectif en salle, j'avais fait des allers et retours pendant plus de quatre heures pour satisfaire les moindres désirs d'une clientèle presque tyrannique. Et c'est pas assez chaud, et ça ne va pas, et le vin à un soucis et... Zut ! Sans compter l'heure précédente, passée à m'expliquer le job tout en me collant la pression à coup de ''geste précis, sourire courtois sans être forcé, élégance''. Est-ce que j'ai l'air d'être née avec des escarpins aux pieds et une cuillère en argent dans la bouche ? Quand j'étais petite je demandais des ''batatas'' (patates) et non un ''émincé de fines pommes de terre''... Je rentrais chez moi les genoux pleins de terre après une après-midi dans le parc... Je faisais ma petite racaille quand les mecs plus âgés que moi me saluaient dans le quartier. Je voulais partir en expédition dans les égouts de la ville pour retrouver les tortues ninja... Donc non, le terme d'élégance ne m'avait pas été inculqué dès mon enfance. Ça n'était pas inné chez moi. Néanmoins j'avais fait des efforts, froissant quelques vieilles coincées au passage, tout en amusant de charmants messieurs par mon naturel. « Ça n'a pas l'air d'aller ma puce... - Je suis fatiguée Mima. » Rapidement, je m'éclipsais. Je ne voulais pas m'étendre sur le sujet et affronter ses questions concernant mes études. Je n'aimais partir le matin en lui faisant croire que j'allais en cours. Je n'aimais pas leur mentir... A elle, à papa, à Adrianna. Et pourtant je le faisais pour ne pas qu'ils s'inquiètent.

Je m'en voulais, à tel point que je ne perdais jamais de temps pour expédier mon sac, supposé contenir mes cours et non des vêtements de rechange, dans ma chambre. Je faisais de mon mieux pour faire de la maison une bulle. Imperméable. Dans laquelle je pouvais m'isoler du reste du monde. Et il n'y avait qu'ici que je pouvais sentir cette délicieuse odeur de brigadeiro. Traversant la cuisine, je ne pu m'empêcher de goûter au chocolat destiné à la préparation de ces gourmandises. Jusqu'à ce que la voix d'Adri résonne dans la pièce. « Toujours entrain de manger celle-là ! » Je laissais échapper un semblant de plainte, témoignant de mon désaccord. Qu'est-ce qu'elle faisait là si tôt ? Je la fixais, arquant les sourcils, alors que Mima me retirait le plat des mains. Oup's !

La gourmandise... Pêché originel dont j'étais la première victime. Pourtant, les croyances n'étaient pas inconnues à notre foyer, élevées dans le respect de certaines valeurs. Mais le chocolat... Bon sang ! J'aurais pu tuer quelqu'un pour une tablette de ce délicieux cacao ! Ce trait de ma personnalité était si flagrant, que personne ne s'étonnait de me voir sans arrêt entrain de piquer dans la cuisine. Une fois encore, Adrianna le soulignait ! Et j'y répondais à l'aide d'un grand sourire, plein de chocolat. Du grand art, c'était digne d'un Picasso ou d'un Goya ! Malheureusement, ce dernier s'effaça bien vite dès lors que ma sœur adorée m'interrogea sur ma journée. Voilà qu'en une simple question elle me replongeait dans mes mensonges, sans même s'en rendre compte. Je pouvais m'en rendre malade par moment ! Me contentant de soupirer, comme pour faire passer cela pour une dure journée longue et ennuyeuse, je préférais garder le silence. A quoi bon donner des détails, tout droit sortis de mon imagination ? C'était inutile ! Et comme il n'y aurait jamais de remise de diplôme, je préférais ne pas trop nourrir la fierté de ma famille à mon égard. Mon père se vantait suffisamment de mon parcours, annonçant à qui voulait bien l'entendre que j'étais une future grande avocate ! Alors que je passais mes journées à faire des petits boulots, parfois bien ingrats. J'étais pathétique !

« Hein ? » Voilà qu'elle me proposait du café, me tirant de mes pensées. « Euh oui, oui ! J'y étais. Ces cernes s'appellent ''droit des institutions'' et ''droit pénal''. » Une fois mon petit mensonge débité, j'esquissai un sourire et me mordit l'intérieur des joues. Comme pour me punir d'en avoir rajouté une couche. J'avais été prise au piège de mes petites cachotteries, qui s'étaient transformées en une gigantesque mascarade. J'étais bien mal, et pourtant je devais faire avec. Même si pour cela je devais prétendre un soucis pour ma remise de diplôme et imprimé un specimen à encadrer pour décorer le salon ! Quoique... Je me demandais si j'étais capable d'en faire autant. Probablement pas. Je préférais encore qu'ils me renient plutôt qu'ils vivent dans ces histoires. « Et toi ? Ta journée ? Moi c'est tellement barbant... On se concentre sur la tienne, ça m'intéresse davantage ! » Je m'intéressait réellement à sa vie, et j'en profitais par la même occasion pour faire diversion et changer de sujet. C'était un bien pour un mal... Et je l'assumais complètement. Ouais c'était moche de mentir ! Oui, ma grand-mère m'aurait sans doute laver la langue avec du savon pour me donner une bonne leçon et me faire comprendre qu'on ne dit pas n'importe quoi aux gens, surtout à ses proches. Je le savais, mais c'était trop tard.

Je connaissais ma sœur, peut-être bien plus que je ne me connaissais moi-même. Et en la poussant à me raconter sa vie, je trouvais une sortie de secours en or. Pas besoin d'inventer des cours, des anecdotes, des professeurs et des devoirs. Pas besoin de faire croire que j'avais passé ma journée sur les bancs d'un amphithéâtre. Elle allait se lancer dans le récit de la journée, et en oublier le reste. Non pas qu'Adrianna était du genre égocentrique, à en zapper le reste du monde... Oh non ! Mais si je l'écoutais avec attention et que je ponctuais son discours à l'aide de quelques questions, je relançais la machine. Bien souvent, nous nous en amusions à la maison. Là, je m'en servais, à son insu. C'était moche, mais c'était de l'ordre de la contrainte, de l'obligation. « Ma sœur, future grande business woman ! Tu n'en feras qu'une bouchée ! » Je plaisantais, mais c'était bien là tout le mal que je lui souhaitais. Qu'elle réussisse, qu'elle fasse de sa vie un véritable triomphe et qu'elle excelle dans tous les domaines ! Agrémentant ma réplique d'un petit clin d'oeil, je la laissais reprendre.

J'admirais mon aînée. Elle était de ces gens passionnés, qui parlent avec le cœur. Elle vivait ce qu'elle racontait, c'était toujours très agréable de discuter avec elle. Par moment, je pouvais littéralement boire ses paroles. Aussi facilement que le café qu'elle venait de me servir. « Euh oui... Oui. - Prise au dépourvu, je n'avais rien trouvé de mieux que d'acquiescer. - Je verrais en fonction de mes dossiers. Mais je viendrais avec plaisir ! » Je savais que cela se ferais en fonction du travail que j'aurais à ce moment là. Si on m'embauchait encore à la dernière minute, comme cela arrivait souvent, je me verrais obligée de la décevoir, ce qui me faisait par avance mal au cœur. Rien qu'à en voir ce large sourire qui se dessinait sur ses fines lèvres, je devinais qu'elle était pleinement investis et que partager cela avec moi lui aurait fait plaisir. Je le savais, c'était comme une évidence. Elle ne le proposait pas pour rien. Les premiers gâteaux arrivèrent sur la table, et je me jetais presque dessus. Avoir la bouche pleine était une très bonne excuse pour ne plus ouvrir la bouche. Me taire. Je rêvais par moment d'être muette ! D'autant plus lorsqu'Adrianna se mettait à rêver, à parler d'avenir, et à idéaliser sa situation professionnelle en me gardant toujours une place dans l'affaire. Rédiger les contrats... Ouais je pourrais le faire, sans que ces derniers n'ait aucune réelle valeurs juridiques malheureusement. Je n'ajoutais rien, me contentant de croquer à nouveau dans mon gâteau. « Jé rien difff' ! » Levant les mains, comme la première des innocentes, j'espérais encore pouvoir me sortir de ces mensonges.