Vous trouvez surement que mon teint, ma couleur de cheveux et mon prénom de font pas très couleur locale, vous n’avez pas tord. J’ai vu le jour aux États-Unis, à Las Vegas, d’une mère américaine et d’un père brésilien venu aux États-Unis pour ses études, tombé amoureux sur place, et ayant choisi de rester pour les yeux de sa belle. Ça aurait pu être un compte de fées, sauf je n’ai pas connu ma mère, car elle est décédée en me donnant le jour. Elle avait été mal suivie pendant sa grossesse, le gynécologue en charge n’avait pas remarqué sa pression artérielle qui augmentait, qu’elle faisait une pré-éclampsie, ce qui était risqué pour elle, et pour moi. Elle est tombée dans le coma juste après m’avoir mise au monde, et est décédée quelques heures plus tard. Par chance, je n’avais pas souffert, j’étais juste plus petite que la normale. Ne pouvant rester aux États-Unis, le pays qui n’a pas réussi à sauver sa femme, mon père est revenu à São Paulo, ville d’où il était originaire. Je ne suis pas à plaindre, je n’ai pas connu ma mère et je n’ai pas souffert d’un manque, ce n’est pas la peine de vous apitoyer sur moi. Vers 15/16 ans, j’ai eu une période où je voulais entrer en médecin, devenir gynécologue obstétricien, pour permettre à un maximum de femmes une grossesse sans encombres, mais la durée des études, leur coût et mes faibles notes dans les matières scientifiques m’en a rapidement dissuadé.


Ma meilleure amie, je la connais depuis que je suis haute comme trois pommes, depuis le premier jour où j’ai fréquenté l’école maternelle. L’institutrice avait divisé ses vingt élèves en cinq groupes de quatre enfants en fonction de leurs dates de naissance. Adrianna était née le 30 juillet, moi le 28. On faisait partie du groupe des oursons. Pendant longtemps, on a crut qu’étant nées si près l’une de l’autre, on ne pouvaient être que des sœurs qui ne pouvaient pas être dans la même famille parce que mon papa ne pouvait pas s’occuper de deux petites filles tout seul. Quand j’y repense, je ne peux m’empêcher de m’attendrir. Surtout qu’elle refuse de me parler depuis presque un an. Parce que j’ai fait une erreur, que je regrette à présent amèrement. Ezra a longtemps été l’un de ses meilleurs amis avant qu’elles se mette en couple avec lui. Je le connais presque depuis aussi longtemps qu’elle, je l’ai toujours trouvé sympathique, mais je n’ai jamais éprouvé de sentiments pour lui. Il n’était qu’un ami. Pourtant, un soir pendant qu’Adri était partie un week-end, on s’est retrouvés tous les deux pour ne pas bêtement rester seuls chacun dans notre coin, d’abord à discuter, puis à boire un verre, puis à s’embrasser. Avant que je m’en rende compte, j’étais complètement nue dans son lit, ses vêtements étaient aussi éparpillés par terre. Je ne sais pas ce qui m’est passé par la tête, je pense que lui non plus. Mais aucun d’entre nous ne s’était imaginé qu’Adrianna allait rentrer plus tôt que prévu pour lui faire une surprise et me trouver à califourchon sur lui. Quand j’ai l’ai vue entrer, j’ai d’abord piqué un fard avant de tirer le drap à moi pour cacher ma nudité, puis j’ai essayé de lui courir après, essayant de la rattraper, de lui expliquer, de la supplier de ne pas m’en vouloir. Elle est quand même partie en claquant la porte. Je me suis laissée tomber par terre, le visage caché par mes mains, en larmes. Ezra m’a rejointe, et m’a dit que c’était autant sa faute que la mienne, et qu’il allait essayer de lui parler dans quelques jours, le temps que la pilule passe. Presque quatre mois après, elle n’est toujours pas passée. Malgré toutes mes excuses, les heures passées devant sa porte à lui demander de m’ouvrir pour qu’on discute, elle m’ignore. Et j’ai encore plus honte de moi.


Pendant longtemps, je n’ai pas su ce que je voulais faire plus tard, comme métier. Je n’ai jamais eu envie d’être chanteuse, ou danseuse comme les autres petites filles. Depuis mes quinze ans, j’avais écarté de la liste de possibilités tous les métiers qui demandaient plus de cinq ans d’études, mon père aurait surement pu me les payer, mais je ne voulais pas lui en demander trop. C’est aussi pour ça que dès que j’ai pu, dès mes seize ans, je travaillais tous les samedis après-midi et les trois quart des vacances scolaires dans un petit café au bas de la rue, dont je connaissais la propriétaire parce qu’elle venait parfois me chercher après les cours plus jeune, quand mon père devait rester plus longtemps à l’agence qui l’employait comme comptable. Même si je m’étais vue infirmière à un moment, j’ai aussi abandonné cette idée, Crys et surtout Ade ne pensaient pas beaucoup de bien des hôpitaux depuis le décès de leur mère. Je n’avais pas de matière de prédilection à part les langues étrangères, et le dessin, dont j’avais pris quelques cours en option au lycée. Mais je savais que j’avais envie de travailler en contact avec du monde, pas juste enfermée dans un bureau avec moi-même, et pourquoi pas , avec des enfants. C’est un peu par hasard que pendant quatre ans, j’ai fait un double cursus langues étrangères espagnol français (je parlais couramment anglais grâce à mes quelques séjours chez mes grands parents maternels) et histoire de l’art à la faculté de la ville, trouvant ensuite une place de guide interprète au musée d’art de la ville. Comme je suis une jeune recrue, je m’occupe plutôt des groupes d’enfants et d’adolescents, ce qui me plait finalement. Quand il n'y a pas de groupes d'enfants de prévu dans la journée, je surveille une salle ou je prends part aux réunions où les prochaines expositions sont mises en place. J’essaie de rendre attentifs à l’art les petits qui viennent au musée, même si je comprends très bien qu’un tableau d’Andy Warhol leur parlerait bien plus qu’un Matisse vu que le premier est bien plus coloré. J'ai parfois envie de prendre mon téléphone et d’appeler Adrianna, pour lui raconter les phrases cultes des enfants de quinze ans quand on les met en face de l'art abstrait, mais je sais qu'elle ne décrochera pas si elle voit mon nom s'afficher sur son téléphone. Elle me manque tellement.